L'urbanisme à la chinoise

Qu’est ce qui rend l’urbanisme de Shanghai si étrange pour une (étudiante en architecture) européenne ?

[Ceci n’est pas un exposé renseigné et longuement étudié, et même si c’est un thème auquel se consacrent certainement de nombreux bouquins, ce n’est là que le fruit d’observations toutes simples et directes et de ce à quoi mon stage m’a confronté]

Le premier élément perturbant à mon avis, c’est le rapport à l’échelle. Par rapport à mes référentiels européens, la ville de Shanghai est IMMENSE. 6340 km² dit Wikipédia, ça ne vous évoque rien ? Et bien selon cette même source Nantes en ferait 65, Paris 105 et Berlin 890. Ou pour se faire une petite idée pragmatique, quelques exemples de temps de trajet (cf schéma). Une vraie ville tentaculaire, quoi. L’échelle perturbe aussi dans son rapport à la hauteur. Dans le centre-ville et à Pudong, on trouve certaine des tours les plus hautes du Monde, et dans la ville en générale la plupart des immeubles résidentiels s’élèvent sur une vingtaine d’étages. C’est aussi la place prise par les infrastructures massives qui surprend le regard, les routes surélevées, les échangeurs, la masse de béton.

Deuxième élément remarquable, la quantité de sites en construction. Les grues font partie du paysage urbain autant que les immeubles déjà construits. La ville semble en perpétuel travaux. C’est d’autant plus impressionnant quand on s’éloigne du centre vers la « périphérie », on observe alors des sites immenses où émergent des plots identiques, agencés de la manière la plus monotone qui soit. Ici la construction est davantage une histoire de quantité que de qualité… [Là je voulais vous poster une petite vidéo que j'ai faite depuis le métro mais euh... ça marche pas donc peut-etre une autre fois :) ]

Face à cela on trouve des manifestations contradictoires : des zones entièrement détruites au cœur de la ville. Elles concernent des quartiers plus anciens, tissus urbains faits de lilongs (ruelles étroites) et shikumens (traditionnelle maison organisée sur 2-3 niveaux). Pour mieux construire, il semble donc que la politique soit à la tabula rasa. Le genre de démarche, qui, en Europe, ferait grincer des dents nos architectes-sociologues… On est habitué à considérer le patrimoine construit, aussi ordinaire soit-il, comme un élément important de notre culture, une trace du passé mais aussi une strate dans l’histoire qui doit continuer à vivre et évoluer avec son temps. Quand cela touche à des quartiers d’habitation, le sujet est d’autant plus sensible que l’on considère la charge émotionnelle contenue dans les constructions. Je ne dis pas qu’on l’a jamais fait, mais c’est à l’heure actuelle une démarche que l’on cherche à éviter au maximum il me semble… Ici au vue de l’ampleur des destructions, j’émets quelques doutes quant à la sensibilisation des politiques urbaines aux thèmes de mémoire et de valeur des lieux. D’ailleurs si l’on regarde l’évolution de la ville (au Shanghai Urban Planning Exhibition Centre par exemple), on pourra être surpris de découvrir que Pudong, il y a 20 ans ce n’était qu’un champ, que des quartiers entiers se sont vus métamorphosés en quelques dizaines d’années et que les bâtiments ayant l’air « ancien » et agissant comme des repères dans la ville, datent du début du XXe siècle.  L’histoire est ici difficile à tracer … Quand certaines personnes me disent qu’il ne reconnaisse plus la ville qu’ils ont connu une dizaine d’année auparavant, je me demande ce que ressentent les vieux qui ont toujours vécus là…

Oui mais…

Une question toute simple s’impose d’elle-même : comment faire autrement ? Comment concrètement loger 20 millions* de personnes, plus toutes les personnes qui affluent ici chaque année ? Car, oui, la ville n’a pas un passé digne de Rome ou Paris, mais elle est bien au cœur des spéculations pour le futur. C’est LA ville des opportunités économiques et professionnelle, paraît-il. Il faut bien que sa forme suive les évolutions de sa démographie, de son économie. Et face à un besoin pressant et massif s’impose une réponse hâtive et quantitative. Ici, l’urbanisme c’est vite fait,… vite fait, point. Donc rapidité serait la quatrième caractéristique de cet urbanisme à la chinoise. Rapidité de réalisation : les chantiers ne semblent jamais s’arrêter ni la nuit, ni le week-end…  Et rapidité de conception. Peut-être qu’à partir de lundi je vais travailler sur un projet « à la chinoise », comme disent mes français de patrons. « Un projet à la chinoise » ? Oh ! Environ 400.000 m² de logements, centre commercial, bureaux, commerces. « A faire pour quand ? », ah le plus vite possible… deux ou trois semaines. [Là, on saute au plafond]. Pour un projet aussi important, en France, on a besoin de beaucoup de temps et de nombreux cerveaux, ici 2-3 personnes devront se suffire pour faire un projet qui se résumera à des perspectives vendeuses et un masterplan figurant des blocs copiés-collés d’un projet à l’autre. Pour la recherche innovatrice, la sensibilité au territoire et les enquêtes sociologiques, on repassera…  Et voilà donc pourquoi je ne vais travailler dessus que « peut-être », c’est le genre de projet qui n’intéresse pas vraiment mes patrons… et pour cause le rôle de l’architecte dans tout ça c’est un peu une blague… Mais par curiosité, j’aimerai bien qu’il me laisse m’y coller un peu.

*(19, 20, 22, aucune source ne s’accorde, il faut croire qu’à cette échelle, 3 millions de personnes de plus ou de moins c’est une broutille)

Je pense que vous l’avez saisi l’urbanisme à la chinoise ne correspond pas du tout aux idéaux de fabrique urbaine qu’on nous transmet à l’école, ça a un côté assez déprimant (que peut-on bien faire ?) et en même temps ça relève du défi, car c’est bien pour ces villes, qui vont concentrer demain la majorité de la population, que l’on devrait œuvrer…